Les contrats d’assurance-vie sont-ils vraiment hors succession?
Transmettre à qui on veut, en toute discrétion, sans forcément respecter les règles de l’héritage… Telle est la promesse d’un contrat d’assurance-vie. Mais est-ce toujours bien vrai ?
Les assureurs vous le promettent : si vous n’en parlez pas à vos proches, votre assurance-vie restera un secret bien gardé. Vous pouvez attribuer le capital qui y est placé à qui bon vous semble, sans que vos héritiers en soient informés lors de la succession.
Rien n’interdit même d’avantager ainsi l’un d’eux sans que les autres le sachent. En effet, parce qu’il s’agit d’un produit d’assurance, votre contrat ne fait pas partie de l’actif successoral, c’est-à-dire de l’héritage à partager entre vos héritiers. Pourtant, en pratique, si vous n’êtes pas très vigilant, son existence peut être révélée.
• Trahie par la paperasse…
En classant vos papiers, en triant vos mails, vos proches peuvent tomber sur un ancien courrier de votre assureur. En outre, votre assureur, s’il n’est pas informé de votre disparition, continue à vous écrire post-mortem, au risque de révéler l’existence du contrat. « Il est possible de lui demander de ne vous adresser aucune communication à votre adresse email personnelle. En revanche, votre assureur est réglementairement obligé de vous adresser chaque année un relevé de situation de votre contrat »,
Pour éviter un courrier intempestif à domicile, vous devez donner une adresse poste restante, faire envoyer ce relevé obligatoire à l’exécuteur testamentaire ou à un tiers (un avocat-conseil, par exemple), ou espérer que le bénéficiaire du contrat « secret » préviendra l’assureur à temps de votre disparition pour que ce courrier ne soit pas expédié.
Peuvent aussi vous trahir d’anciens relevés de compte, qui gardent trace d’éventuels versements ou retraits sur le contrat, comme d’anciennes déclarations de revenus, si vous y mentionniez des retraits taxables.
• La clause bénéficiaire
C’est celle dans laquelle vous indiquez le nom des personnes qui doivent recevoir le capital de votre assurance-vie après votre décès. Elle est, en général, rédigée dans le contrat lui-même, mais il est aussi possible d’indiquer dans le contrat qu’elle est déposée chez le notaire de votre choix.
• Droits de succession
Si vous avez alimenté un ou plusieurs contrats après 70 ans, l’argent versé est soumis aux droits de succession au-delà des 30500€.
L’assureur demandera donc aux bénéficiaires de ces contrats de se rendre au centre des impôts pour régler ce qu’ils doivent, avant de leur remettre le capital qui leur revient. Mais cet abattement de 30500€ est commun à tous vos contrats et tous vos bénéficiaires, qui doivent donc se le partager.
« Au centre des impôts, il peut arriver que vos héritiers s’entendent dire que l’abattement de 30500€ a déjà été utilisé par un autre bénéficiaire, plus rapide qu’eux », prévient ME Humbert, président du Conseil supérieur du notariat. Cela dit, l’administration fiscale n’est pas censée révéler le nom de celui qui a agi plus vite…
• Quand le notaire ouvre la succession
Le notaire chargé de la succession saura que vous avez souscrit un contrat s’il en trouve la trace dans l’inventaire du patrimoine remis par vos proches. Il peut aussi en être informé si vous avez déposé la clause bénéficiaire du contrat chez un de ses confrères, qui l’a enregistré dans le Fichier central des dispositions de dernières volontés. Cette pratique permet d’être certain que le contrat sera bien retrouvé après le décès et le bénéficiaire, averti. Le notaire chargé de régler votre succession consultera le fi chier à l’ouverture d’une succession et saura ainsi qu’il existe en effet un contrat.
• Le fichier centralisé Ficovie reste discret
Les notaires sont également tenus de consulter le Fichier centralisé des contrats d’assurance-vie (Ficovie) tenu par l’administration fiscale, qui est censé recenser tous les contrats existants en France. Objectif : éviter que certains, jamais réclamés par les bénéficiaires, ne tombent en déshérence. « Mais, en pratique, pour savoir si le défunt a souscrit un contrat d’assurance-vie dont nous n’avons pas connaissance, nous devons à la fois donner le nom du souscripteur et celui du bénéficiaire. Si ce dernier n’a pas été désigné par son nom (Paul X) mais par sa qualité (mon fils), ou s’il nous est inconnu, le fichier reste muet »,
Le notaire a le droit d’interroger les assureurs
Le notaire a aussi le droit d’interroger directement tel ou tel assureur chez lequel il suppose que vous avez pu ouvrir un contrat, par exemple, votre banque ou votre assureur. « Mais certains refusent de répondre, invoquant la confidentialité de ces informations. D’autres peuvent confirmer l’existence d’un contrat, et précisent même parfois le montant des primes versées. Mais jamais ils ne communiquent le nom du bénéficiaire »
• Une procédure pour les héritiers
Si les héritiers, informés de l’existence d’un contrat dont ils ne sont pas bénéficiaires, veulent savoir qui va percevoir le capital correspondant, il leur faut aller en justice. « Ils doivent d’abord délivrer par voie d’huissier une sommation interpellative, par laquelle ils demandent à la compagnie de dévoiler l’identité du bénéficiaire »,
« Parfois, cela suffit à obtenir l’information. À défaut, si la compagnie persiste dans son silence, il faut l’assigner devant le tribunal », précise-t-il. Le juge peut en effet obliger l’assureur à fournir les informations recherchées… s’il estime que les héritiers ont raison d’être curieux. C’est-à-dire s’il est probable qu’ils ont été privés de leur réserve (la part minimale de l’héritage du défunt qui leur revient de droit) parce que leur parent a investi en assurance-vie des primes (versements) « manifestement exagérées ».
• Recel ?
Un enfant bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie peut en cacher l’existence à ses frères et sœurs sans se rendre coupable de « recel » (dissimuler des biens lors d’une succession est passible de sanctions), sauf si les primes sont manifestement exagérées.
• Du côté des services sociaux
Certaines aides sociales reçues par le défunt peuvent être récupérées sur sa succession… ou sur ses assurances-vie, notamment par les départements. « Ce n’est en général le cas que lorsque le notaire a déjà identifié l’existence de certains contrats ».« Les départements mènent rarement l’enquête eux-mêmes. »
• Les primes manifestement exagérées…
En principe, l’assurance-vie, régie par le Code des assurances, n’est pas soumise aux règles successorales dictées par le Code civil. “Elle peut donc permettre de déroger à la réserve héréditaire… excepté justement si le souscripteur du contrat y a versé des sommes excessives. C’est au juge d’apprécier si c’est le cas ou non, en fonction de la situation patrimoniale et familiale du souscripteur à l’époque, et de l’utilité que présentait pour lui une assurance-vie, en fonction de son âge. Plus il était âgé, moins cette opération d’assurance avait en effet d’intérêt pour lui-même.
• Quelques exemples…
Les juges ont estimé exagérées les primes versées par une femme de 86 ans qui avait désigné comme bénéficiaire son fils, seul survivant de ses deux enfants, et qui était décédée moins d’un an après. Les petits-enfants et arrière-petits-enfants venant en représentation de leur parent prédécédé avaient demandé la réintégration des sommes dans la succession. Ils ont obtenu gain de cause, car, en raison de l’âge de la souscriptrice et de son décès rapide, la souscription ne présentait aucune utilité patrimoniale pour elle. En revanche, n’a pas été jugé excessif le versement en assurance-vie de 229000€ par un homme de 80 ans, car il disposait par ailleurs d’un patrimoine de 313000€ et jouissait de l’usufruit de deux maisons.
Quelles sont les sanctions ?
Si le juge estime que les primes ont été exagérées et que les enfants n’ont pas perçu leur réserve héréditaire, il décide aussi de ce que le bénéficiaire doit restituer. “Le plus souvent, sera reversée dans la succession la part des primes qui permettra de respecter la réserve des enfants. Mais parfois le juge réintègre la totalité des versements, à l’exception des intérêts ou des plus-values qu’ils ont pu rapporter qui, eux, restent toujours acquis au bénéficiaire. Réintégrées dans l’actif successoral, ces sommes seront taxées. De même, si le bénéficiaire est un des enfants, il lui sera demandé de remettre tout ou partie des primes dans le pot commun à partager avec ses frères et sœurs.
Le droit de retour
En matière d’héritage, lorsque le donataire décède avant le donateur peut alors s’exercer ce que l’on appelle le droit de retour. Les dons sont ainsi censés revenir au donateur, ou aux frères et sœurs du défunt. Il convient alors de différencier les droits de retour prévus par la loi (droit de retour légaux), du droit de retour conventionnel, défini dans l’acte de donation.
Les droits de retour légaux
Lorsqu’un enfant donataire décède avant ses parents, les père et mère jouissent d’un droit de retour légal. Ils sont donc en droit de récupérer les donations qu’ils lui avaient faites à hauteur de leur quote-part dans la succession, à condition que leur enfant n’ait pas d’enfant ou petits-enfants. Ce droit de retour des père et mère n’est pas imposable. Si le défunt n’a ni parents, ni descendant, ni conjoint, le droit de retour s’exerce alors sur ses frères et sœurs. Si toutefois les biens donnés n’ont pas été légués ou vendus et figurent toujours au patrimoine du défunt. Dans le cas où le défunt n’a ni parents, ni descendants mais laisse un conjoint, le droit de retour légal s’exerce alors pour moitié des choses données au conjoint, l’autre moitié revenant aux frères et sœurs. Ici aussi, le droit ne s’exerce que si les biens n’ont pas fait l’objet d’une donation ou d’un legs au dernier vivant et figurent toujours au patrimoine du défunt. A l’inverse du droit de retour aux père et mère, les frères et sœurs devront quant à eux s’acquitter des droits de succession sur les biens qui leur reviennent.
Le droit de retour conventionnel
Il est par ailleurs possible (et fréquent) d’indiquer des clauses au sein de l’acte de donation pour prévoir le retour au donateur en cas de décès du donataire avant lui. La restitution des biens donnés est alors automatique. On parle de droit de retour conventionnel. C’est l’article 951 du code civil qui en prévoit les contours et indique que le donateur peut prévoir ce droit de retour « soit pour le cas du prédécès du donataire seul, soit pour le cas du prédécès du donataire et de ses descendants ». Ce droit s’exerce sur la totalité des biens donnés et ceci quelles que soient les relations entre le donateur et le donataire. Ils ne sont par exemple pas tenus d’appartenir à la même famille. Le donateur ne peut toutefois pas prévoir de droit de retour pour quelqu’un d’autre que lui-même. Le droit de retour conventionnel n’implique pas d’impôt ou de droits de succession. Si vous devez bénéficier d’un droit de retour conventionnel, vous vous adresserez au notaire qui est en charge de la succession du défunt afin de le mettre en relation avec le vôtre et faire respecter les clauses de l’acte de donation.